La viande demande à être maniée avec prudence. C'est vrai ! L'alimentation carnée est très riche en azote, sa digestion est difficile et s'accompagne de déchets considérables et surtout difficiles à éliminer. Son résidu reste dans l'organisme et joue dans l'économie le rôle des scories dans le foyer des machines ; il l'encombre, ralentit les combustions et la machine s'encrasse ; c'est pourquoi la viande ne convient pas aux enfants, pas davantage aux vieillards, et ne doit être prise par l'adulte que dans certaines conditions. L'adulte qui a une vie sédentaire doit être sobre, et sobre surtout des viandes dites noires : bœuf, mouton et surtout gibier, lièvre, perdreaux, etc.
La digestion et l'assimilation de la viande laissent, venons-nous de dire, des résidus ; ces résidus sont surtout de l'urée et de l'acide urique, dont l'accumulation occasionne un certain nombre de maladies chroniques : telles que la goutte, la lithiase rénale, source d'accidents graves, et toutes ces maladies par ralentissement de la nutrition, si bien mises en lumière par le professeur Bouchard, et ces abaissements du coefficient d'oxydation avec toutes leurs conséquences funestes, si bien étudiées par la professeur Albert Robin.
La viande crue ou peu cuite est surtout cause de ces différentes maladies ; elle est plus fortifiante que la viande bien cuite, c'est entendu, mais c'est précisément pour cela que l'usage de la viande crue ou saignante doit être réservé aux débilités, aux anémiques, à ceux aussi qui nt une vie fort active, et par-dessus tout , à certains malades à oxydation exagérée, aux malades atteints de maladies consomptives.
C'est pourquoi la viande crue et saignante est l'aliment par excellence du tuberculeux, et en quelque sorte, le spécifique de la tuberculose.
Le professeur Charles Richet et M Héricourt ont, dans une communication à l'Académie de médecine, qui a eu beaucoup de retentissement, démontré que le jus de viande crue était un véritable médicament pour les tuberculeux. Plus récemment, M Albert Robin a, dans cette même Académie, démontré que les tuberculeux sont des malades qui brûlent trop vite dont le coefficient d'oxydation par conséquent exagéré, et auxquels il faut, par suite donner des aliments très résistants, comme on donne à un foyer qui a un tirage considérable des charbons durs et peu comburants.
La viande crue et surtout la viande de bœuf a aussi l'inconvénient de donner le ver solitaire, qui est un parasite de cet animal et qui passe de sa chair dans le tube digestif de l'homme où il occasionne des désordres assez sérieux dont la cause peut longtemps passer inaperçue. La cuisson détruit les œufs du tænia, d'où l'indication en temps ordinaire de faire toujours cuire la viande.
Je dis en temps ordinaire ca , pour les maladies dont je viens de parler, on doit passer outre, le tænia en somme n'étant qu'un inconvénient tout à fait secondaire, aujourd'hui, avec les moyens dont on dispose pour s'en débarrasser.
Mais en dehors des cas de maladie, en dehors des indications d'un régime encore moins intensif, pour les personnes qui fatiguent physiquement, la viande est d'une digestion beaucoup plus difficile qu'on ne le suppose généralement. Il faut une grande quantité de suc gastrique pour digérer un beefsteak, une côtelette de mouton ou une tranche de gigot, et comme les personnes qui ont une vie sédentaire, une vie de cabinet : les intellectuels, pour employer une expression qui a cours forcé, ont une sécrétion de suc gastrique très faible et surtout très irrégulière ; ils se sentent bâillonnés, mal à l'aise pendant la période de digestion, et incapables de tout travail cérébral.
J'ai été frappé, autrefois , de la façon dont Francisque Sarey analysant les différentes sensations et expliquait pourquoi il était devenu végétarien, ou plutôt végétarien mixte. Il avait raison quand, par l'analyse et l'intuition, il était arrivé à classer les aliments en aliments cérébraux et en aliments musculaires. Il est certain que l'aliment muscle convient à l'homme qui vit de et par les muscles, tandis que le autres aliments : poisson , laitages, légumes, fruits, doivent former la base de la nourriture de tous les autres.
Dr Léon Leriche . 1901
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