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Eloge de la cuisine

Updated: Aug 28, 2023


Paris, le 1er janvier 1901.

La cuisine est un art, et non pas un métier.

On devient député, sous-préfet ou portier,

Ministre ou cordonnier, boucher ou diplomate,

Mais on ne fait jamais une sauce tomate,

Ni le potager aux choux aux lares consacré,

Si l'on n'a pas en soi le pot-au-feu sacré

Et l'instinctive ardeur, pour le vulgaire un

Qui fait bouillir à point la petite marmite.


Et ce n'est pas qu'un art, ne vus y trompez pas,

C'est un poème aussi qu'un bel et bon repas :

Repas bien ordonné, savane et noble escrime

Où l'on trouve à la fois la raison et la rime ;

Où, depuis les hors-d'œuvre et jusques au dessert,

Pour l'odorat, le goût, tout est comme un concert ;

Où tut, comme il convient, se lie et s'harmonise

Dans l'ensemble idéal qui presque divines

Un appétit vulgaire, en faisant un autel

De la table banale où quelque heureux mortel,

Grâce à l'habile "chef" coutumier des trophées,

Transforme un palais d'homme en un palais de fées…


Idéal, ai-je dit. Certes, je le maintiens.

Chacun ses goûts, et Sparte avait jadis les siens ;

Mais vive un idéal que nul chagrin n'achète,

Qu'on découpe au couteau, qu'on pique à la fourchette ;

Idéal accessible à tous et pour chacun,

Qu'on peut même s'offrir tous les jours plutôt ;

Idéal qui, jamais, ne tourmenta personne,

Et visible à l'œil nu dès que le diner sonne…

Cet idéal en vaut bien d'autres qui, pourtant,

Vous prennent de grands airs d'archange ou de

Et lorsque, pénétré de respect, je contemple Satan ;

Un maître cuisinier dans sa cuisine : un temple

Dont la flamme flamboie et comme un phare luit,

Je ne puis m'empêcher de saluer en lui

Un des consolateurs de notre humain martyre,

Et je vois, dans son gril, une sorte de lyre !


La lyre ! Mais, alors, confrères nous voici

Et ma foi, je l'avoue avec plaisir ici,

La cuisine me plaît. Je suis sûr que ma Muse

A fricoter un brin dans l'Olympe s'amuse ;

Qu'elle se tirerait, au besoin, d'un festin

Et qu'elle réussit, par exemple, un gratin.

Les Muses ne sont pas, d'ailleurs, ce que l'on pense :

Femmes de tête, mais sans mépriser la panse,

Rien du bonheur humain ne leur est étranger,

Et, comme c'est un art, aussi, de bien manger,

Elles n'en font pas fi. Puisque la poésie

N'empêche pas les dieux de goûter l'ambroisie,

Gageons que Jupiter , s'il veut se régaler,

De ce mets qu'ici bas rien ne peut égaler,

Prie une des neuf sœurs de faire sa popote ;

Et les muses, pendant que la chose mijote

Sur les fourneaux du Mont-Parnasse nébuleux,

Ne sont plus des bas-bleus : ce sont des cordons bleus !


Henri Second






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