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Que mange t on en Laponie ? Petite promenade autour des marmites boréales et des fourneaux polaires


Bien frugale est la table du Lapon et du Finois : poissons fumés, quartiers et langues de renne, sang pulvérisé que l'on mêle aux farines bouillies, fromages excellents, lait de renne substantiel et crémeux que l'on conserve tout l'hiver en rondelles appétissantes et gelées, comme boisson une eau pure et sans rivale à laquelle le Lapon doit peut-être sa santé robuste et sa longévité étonnante.

Presque jamais d'alcool sagement proscrit par le gouvernement scandinave, largement remplacé par de bon café dont se fortifie la Lapon nomade. Ajoutons qu'il l'agrémente à sa façon en y mêlant de la graisse, de l'huile, du sang, du fromage et des foies broyés de poisson, vrai bouillabaisse antarctique.

Le plat national de toutes les Laponies russes, norvégiennes, suédoises, c'est la fameuse roupe au sang, soupe universellement estimée et savourée avec délice, faite de farine et de sang mêlé de caillots que les ménagères laponnes savent garder , des mois du long hiver, à l'état liquide, dans des outres en estomac de renne.

Cette soupe au sang, c'est le vrai plat de famille, le régal de la tribu, le mets consacré, pour ainsi dire, de l'amitié et de l'hospitalité. La soupe au sang, c'est le sel et le pain légendaires des autres peuples.

C'est du Scandinave que le Lapon apprit la culture indigente de son sol rebelle, l'art des grandes pêches, la domestication des animaux, l'élevage des rennes, les travaux multiples de la vie industrielle et civilisée.

Après des siècles de lutte et de haine, aujourd'hui Scandinaves et Lapons vivent en parfaite harmonie, parlent à peu près la même langue, partagent la "Soupe au sang" en voisins et en amis, tandis que le quartier de renne traditionnel embaume la hutte , que le jambon d'ours régal de fête, mijote dans le chaudron étincelant, et que le café chante dans la grande bouilloire.

Bien restreint dans ses rares espèces, sous ce rude climat, le gibier polaire ne saurait beaucoup compter dans l'alimentation laponne. Les terres arctiques n'ont jamais entendu le chant de la caille, amie des riches sillons, no les trilles joyeux de l'alouette, ni le refrain à boire de nos grives affamés de grappes de vermeilles. Point de bécasses, de pluviers, de vanneaux, d'ortolans, de gélinottes. L'alouette aux pâtés succulents ne saurait se laisser prendre au miroir des glaces éternelles, et le cop des bois y chercherait en vain ses bruyères fleuries que remplace la mousse indigente et le lichen amer.

En fait de gibier, des lièvres blancs fuyant les serres cruelles du Harfrang des Neiges, des perdrix blanches et farouches dont les salmis, absolument étrangers aux truffes du Périgord, sont à jamais perdus pour l'humanité. De temps à autre, un renne sauvage, se faisant de plus en plus rare, chaque jour, vient réjouir de ses pénétrantes senteurs l'humble table du Lapon. Parfois, bonne aubaine culinaire, la balle d'un chasseur étend quelque ours énorme sur la neige éclatante qu'illuminent les lueurs féériques d'une aurore boréale. Mais lorsque un printemps éphémère viendra délivrer les lacs et les rivières de leur couvercle de cristal, ce sera comme un pêche miraculeuse de poissons délicieux et longtemps attendus que l'on fumera pour passer un implacable hiver de neuf mois.

Quand au renne, domestique ou sauvage, c''est le pivot de l'alimentation polaire, la consolation gastronomique, la richesse et la vie de ces régions désolées.

Il y a environ quinze ans, le jardin de l'alimentation polaire exhiba une très curieuse tribu de Lapons venus avec un grand troupeau de rennes. J'eus l'agréable occasion d'en goûter à toutes es sauces, et je rends justice à l'excellente chair de ce superbe et fier animal.

Bien mieux, il prit fantaisie à un petit Lapon de venir au monde au Jardin du Bois de Boulogne entre un lama du Pérou et un kangourou d'Australie . On célébra sa naissance par des agapes boréales, dont le plus d'honneur fut la fameuse soupe au sang.

Invité, j'y goûtai , d'une cuillère un peu hésitante, je l'avoue. Mais, je dois dire que cette soupe polaire n'était pas vraiment mauvaise, sans valoir toutefois notre vieux pot-au-feu de France!

C'est ainsi que, dans ces vastes régions de la Laponie, l'art culinaire est fait d'indigences et de privations.

Eh bien, la nature a mis dans le cœur du Lapon l'amour de ces contrées inhospitalières, de cette existence de labeurs et de périls, de tristesse et de frugalité.

Ces champs de neige et de glace, ces rivages où grondent d'incessantes tempêtes, ces lacs et ces rivières de cristal implacable, ces forêts muettes et dénudées où le moindre gibier est un évènement, tout cela c'est la Patrie.

Cette tente misérable, cette hutte enfumée et souterraine, sorte de tombeau anticipe, cette table égayée d'un quartier fumant de renne, de lait , de fromage, surtout de la soupe savoureuse et fortifiante au sang, c'est le foyer, c'est la ramille.

Cette vie errante et précaire à travers les neiges et les neiges, c'est l'indépendance du Lapon et tout cela lui est doux et cher comme la Patrie, la famille et la liberté.

FULBERT-DUMONTEIL 1901




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