C'est au XV IIème siècle, sous le règne de Louis XI que la bouteille, jusqu'alors disgracieuse et pesante, prend la forme légère, élégante et commode qu'elle a conservée de nos jours.
Sous les premiers rois de France, la bouteille, flacon de volupté, fiole de vie, avait une des charges les plus honorables et les plus convoitées de la Cour.
C'était " L'intendance de vin" sous le titre hautement envié de Boutillier, titre au se disputaient avec un diplomatique acharnement les plus grands noms de France.
L'histoire nous a transmis les noms des illustres personnages qui, depuis Henri 1er reçurent le titre tant recherchée Boutilliers. Il convient d'ajouter que, des quatre grands officiers de la Couronne, l'heureux préposé à la bouteille" était sans conteste, le gentilhomme qui comptait le plus de prérogatives, ce qui nous semble assez juste.
Faut-il rappeler qu'au sacre de Philippe V, en 1317, une ardente et mémorable discussion s'éleva en Sully "Boutillier" et de Soyecourt "Echanson". Il s'agissait de savoir à qui appartiendrait le pot à cave dont le roi s'était servi, le jour de son sacre.
De là, vive et profonde divergence d'opinions à la Cour. Deux partis se forment, ardents, acharnés : les uns tiennent pur le gobelet, c'est à dire pour Soyecourt, les autres pour la bouteille, c'est à dire Sully.
. Ceux-ci disent que le Roy honore bien plus le gobelet puisqu'il le porte à la bouche et ceux là répondent avec une certaine logique que sans la bouteille le gobelet serait absolument inutile.
Un érudit champion de Soyecourt s'empresse d'écrire : " il faut tout à fait ignorer l'histoire pour ne pas se rendre à l'évidence que l'échanson est plus noble que le boutillier dont a charge est presque récente. En effet, dans l'antiquité les Dieux et les rois avaient leur échanson. Jupiter donne cette charge à Ganymède, Artaxès à Méhémie, Gamby au fils de Prexasques. Les rois prennent leurs échansons dans les familles les plus illustres. Tel Joseph, fils de Jacob, à la Cour de Pharaon.
Il va sans dire que les partisans de Sully, c'est à dire de la bouteille, ne se font pas faute de répliquer au savant défenseur du gobelet. Et c'est ainsi qu'entre la bouteille et le verre, le pour et le contre sont vigoureusement soutenus. Aussi bien la question menace de s'éterniser et le fameux pot à cave du sacre royal semble devoir rester à jamais indivis entre les deux seigneurs et rivaux, Soyecourt et Sully.
La distance du verre à la bouteille est, en effet, si imperceptible qu'il parait impossible de trancher cette grave question.
Mais voici que Philippe V lui-même se met de la partie et malgré les frais d'érudition des partisans de Soyecourt, le Roy donne gain de cause à Sully.
Dès lors cesse ce conflit mémorable de la bouteille et du verre. La bouteille est déclarée plus noble que le gobelet et le fortuné Boutillier jouit triomphalement de prérogatives innombrables, ainsi que le démontre le Glossaire de du Cange.
Nous ne citons que l'une de ces prérogatives qui du reste a bien son charme et son prix. En ce temps-là, la douce et belle science des grands vins, qui demandent à vieillir, était fort arriérée : chez le Roy, comme chez les particuliers , c'est toujours à la pièce que l'on tire le vin.
Si les jours de gala, on savoure plusieurs espèces de vins renommés, on entame successivement plusieurs futailles, et tous ces précieux tonneaux, souvent à peine déflorés, appartiennent ensuite au grand "boutillier".
Voilà, il faut en convenir, un moyen aussi rapide que commode de se monter une cave.
Aujourd'hui le verre et la bouteille qui sont faits pour s'entendre, vivent en bonne intelligence, sur un pied de parfaite égalité : et, c'est avec un empressement sympathique que le gobelet reçoit les baisers répétés de la bouteille à la condition que le vin soit bon.
Fulbert-Dumonteil
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